Rennes sera t'elle la première ville "Dementia Friendly Community" ?
Notre société fait face au défi des troubles neuro-évolutifs, en particulier la maladie d’Alzheimer, dont le nombre des personnes touchées évolue avec le vieillissement de la population. Aujourd’hui, il s’agit de participer à la construction d’une société bienveillante et plus ouverte, au sein de laquelle les différences individuelles ou sociales sont accueillies et peuvent même être facteur de progrès.
Les Anglo-Saxons ont développé depuis une dizaine d’années des démarches de sensibilisation des professionnels et des citoyens. Il s’agit de changer l’image très négative de ces maladies et de modifier les pratiques quotidiennes avec pour visée le changement de représentation de ces pathologies et la modification des pratiques et attitudes au quotidien. La ville de Rennes, grâce au Bistrot Mémoire, a entrepris de suivre ce chemin pour la première fois en France.
Intégration ou inclusion : de quoi parle-t-on ?
L’inclusion sociale et l’intégration caractérisent les rapports entre individus et systèmes sociaux, et la capacité des personnes à mener une vie sociale conforme à leurs choix. Cependant, il y a plusieurs approches possibles, et inclusion et intégration ne recouvrent pas les mêmes concepts.
Dans le modèle intégratif, il importe d’agir sur les déficiences des personnes (interventions chirurgicales, prothèses, aides médicamenteuses) et/ou sur les incapacités (rééducation, réadaptation) afin de réduire l’écart et permettre ainsi aux personnes touchées par des maladies chroniques de rejoindre et de faire partie de la société « normale ». Dans la philosophie de l’inclusion, tout le monde est « normal » en droit. La norme, c’est-à-dire la frontière d’inclusion, est élargie à tous. Qu’on soit fille ou garc¸on, noir ou blanc, valide ou handicapé, sourd ou entendant, on fait partie de la norme, on fait partie de l’environnement ordinaire, on ne peut en être exclu. Ce qui veut dire que les environnements faits pour les hommes, pour les blancs, pour les valides, pour les entendants, et défavorables aux catégories « opposées », doivent être modifiés pour atteindre la norme pour tous, c’est-à-dire se rendre accessibles à tous.
C’est donc à l’environnement de changer pour prendre en compte l’élargissement de la définition de la norme et de ce qui est qualifié d’« ordinaire ».
On retrouve ce modèle, inspiré de Fougeyrollas, dans les autres champs du handicap, c’est ce qu’a très bien décrit Le Capitaine dans un article concernant les jeunes sourds : « La notion d’inclusion nous engage par conséquent à voir autrement ce que c’est d’être pleinement humain, à se représenter autrement la place des personnes handicapées dans la société, et à ne pas seulement vouloir réparer les personnes avec des différences pour les faire rejoindre à tout prix le cercle fermé de la normalité... qu’on aurait soi-même préalablement définie. L’inclusion ouvre le droit à la singularité, à la différence, ne tolérant pas d’exclusion à la participation sociale sous le prétexte de cette différence. Là où l’intégration n’interrogeait pas la norme établie, l’inclusion fait varier la norme pour y inclure toutes les singularités. Une personne qui n’entend pas n’est pas moins normale qu’une personne qui entend, même si sa vie est plus difficile dans un contexte fait pour des personnes qui entendent. »
Avec l’inclusion, les risques de souffrance n’ont pas disparu, mais il s’agit maintenant de faire en sorte que l’environnement puisse accueillir tout le monde. C’est là que peuvent intervenir les services, dans un accompagnement qui ne se contente pas d’agir sur l’individu fragile, mais qui agit aussi et avant tout avec et sur l’environnement pour le transformer.
Si l’on reste dans le modèle de l’intégration, on se satisfait des exclusions.
S’approprier le concept de l’inclusion, c’est vouloir changer l’environnement pour qu’il soit accueillant. Cela peut poser des questions complexes, et il convient de ne pas éviter la question des inégalités sociales.
C’est évidemment un travail de long terme.
Les maladies de la mémoire et la maladie d’Alzheimer en particulier
Il est devenu presque banal d’évoquer les 900 000 personnes qui sont aujourd’hui touchées par ces troubles, sans compter leurs proches. Cela se joint à une évolution démographique qui donne, au moins pour quelques décennies, à voir un vieillissement de notre société. On communique de plus en plus sur la maladie d’Alzheimer, mais dans cette communication se cachent des choix, des opinions, des valeurs. . . aux conséquences radicales :
- la maladie d’Alzheimer est une maladie grave... Mais aussi une construction sociale... On ne communique pas dans le vide. Il y a toujours un angle d’approche, des valeurs. Communiquer, c’est privilégier une facette de la réalité : en général on communique sur les phases les plus avancées de cette maladie, alors que de nombreuses années se sont déroulées avant ;
- la maladie suscite des angoisses chez la personne malade, mais aussi et surtout chez ceux qui la fréquentent. Cette peur naît de l’inconnu. C’est celle qu’on ressent devant la crainte de dépossession de soi : de la volonté, de ses facultés, de son comportement. Elle entraîne un risque d’exclusion, de mise à l’écart.
Inversement, dans le projet d’inclusion, les personnes touchées par les troubles sont des partenaires actifs. Depuis 14 ans, le Bistrot Mémoire propose un lieu de rencontres régulières, pour des personnes concernées par la maladie d’Alzheimer. Nous considérions dès 2004 que les participants, qu’ils soient malades, aidants, bénévoles ou salariés avaient chacun une expertise, une expérience à partager. Et que ces échanges étaient profitables à tous. Depuis, nous avons pris la mesure de l’importance de la prise de parole, de la participation des personnes vivant avec cette maladie : que serait un projet d’inclusion des personnes les plus fragiles si nous ne questionnions pas la place de chacun, et n’étions pas vigilants à mieux assurer une place pleine et entière dans ce projet aux personnes concernées directement ?
C’est pour cela que nous avons entrepris de développer ces valeurs en dehors du Bistrot en tant que lieu de rencontre hebdomadaire.
Les personnes qui vivent avec des troubles cognitifs sont co-acteurs de ce changement, même si on peut mesurer que le chemin qui reste à parcourir est long.
Comment envisager l’inclusion dans la communauté des personnes ayant une maladie d’Alzheimer ?
Les Anglo-Saxons, au moins certains d’entre eux, se sont attelés à ces projets depuis quelques années. Ils ont mis en place des « Dementia Friendly Communities » (DFC) qui sont un ensemble d’initiatives destinées à créer un mouvement social pouvant mobiliser les différentes couches de la communauté locale.
Parmi ces démarches on peut distinguer 3 sphères, chacune étant en cohérence avec les autres :
- soins et soutien, partenariats au sein des services de santé : actions d’information autour des services d’aide, de proximité, d’urgence, initiatives en dehors des lieux de soins habituels (vacances, sessions d’art thérapie...) ;
- sensibilisation : diffuser des informations auprès des habitants, de voisins, des commerçants, des jardiniers, des policiers, des administrations..., communiquer de fac¸on variée pour améliorer la connaissance de ces troubles par les différents publics, dépasser les clichés, les préjugés : en effet, le mot Alzheimer suscite la crainte de la dépersonnalisation. Pourtant face à toute personne fragile il est à la portée de chacun de témoigner de son empathie, d’une sensibilité partagée, d’une humanité commune, du plaisir d’être ensemble. La sensibilisation, les explications données aux personnes « qui ne savent pas » ce que c’est que ces maladies ont un effet positif. Par exemple, au sein du Bistrot Mémoire, à chaque fois que nous avons eu besoin d’entrer en contact avec d’autres associations ou institutions (association de conteurs, musée des Beaux-Arts) ou avec des gérants de bistrots, le lien a vite été créé après quelques explications ;
- implication concrète de la communauté locale et des citoyens ; accès facilité aux services sanitaires, sociaux, culturels, municipaux, qui sont suffisamment équipés et organisés à cet effet.
Ces trois axes sont complémentaires et interdépendants. Parmi ces différentes approches, certaines expériences européennes nous ont inspiré :
- les groupes d’expression et d’influence, la formation des personnes diagnostiquées : Educate Stockport, Young Dementia UK, Scottish Dementia Group ;
- les actions de sensibilisation du public : sets de table dans les restaurants en Allemagne et en Autriche, les deux millions de Dementia Friends en Grande Bretagne, les rencontres entre générations, la parade de Konfetti im Kopf en Allemagne... ;
- l’inclusion des personnes touchées par les troubles cognitifs dans les activités physiques, les visites au musée... ;
- la cellule personnes disparues « missing persons » de la police belge: tout en respectant le droit d’aller et venir dans la ville, comment veiller à la protection des personnes qui risquent de se perdre ?
- Foton à Bruges : un projet cohérent, intégrant l’ensemble des dimensions de ces DFC : sensibilisation et labellisation des commerc¸ants, mais aussi un ensemble de services d’accompagnement individuels, d’actions culturelles, de formation de professionnels et de bénévoles (Foton est un centre d’expertise), l’ensemble étant construit sur plusieurs années.
Le projet rennais
En France, la démarche repérée comme « Dementia Friendly Community » a fait l’objet de débats plus récemment, dans le plan maladies neuro-dégénératives et dans les réflexions de la Fondation Médéric Alzheimer : la fondation a organisé en mars 2017 les Assises de la recherche et de l’innovation sociale, réunissant professionnels, bénévoles et personnes vivant avec des difficultés cognitives. L’objectif en était le développement d’une stratégie nationale de recherche et d’expérimentation consacrée au vieillissement cognitif.
Il nous a semblé évident il y a plusieurs mois que Rennes avait tous les atouts pour devenir la première ville accueillante pour les personnes vivant avec des troubles neuro-évolutifs : d’une part, le Bistrot Mémoire, et son association y ont pris une place indéniable et, d’autre part, des démarches fortes ont été menées, comme Rennes Ville Amie des Aînés, la participation active à Monalisa, et des actions d’inclusion particulièrement bien développées aussi dans le domaine de la santé mentale.
Un séminaire organisé par l’Association Bistrot Mémoire Rennais les 22 et 23 juin 2017 a marqué la première étape de cette démarche « Dementia Friendly Community ». Les personnes conviées au débat étaient les « forces vives » de la Ville de Rennes : élus et services techniques (CLIC, services santé, policiers, jardiniers, ...), acteurs professionnels (commerçants, responsables de logement social, salariés des secteurs culturels et associatifs comme le Musée des beaux arts, les Champs Libres, les Petits Frères des Pauvres, l’Office des Personnes à la Retraite...), citoyens (dont six élèves de CM2 de l’école Liberté et leur directrice), bénévoles, professionnels du champ de la gérontologie, et en particulier de l’aide à domicile...
Des personnes (de Rennes, de Bruges, de Manchester) vivant avec la maladie d’Alzheimer avaient été invitées à témoigner de ce qu’elles vivent au quotidien, d’heureux, de malheureux... comme cela se fait pour d’autres pathologies.
Nous avons ainsi mieux saisi collectivement l’ensemble des initiatives qui pourront être prises à Rennes, tant dans le domaine de la sensibilisation du public, que dans celui de la formation des professionnels et, à terme, entraîner une réelle modification des pratiques quotidiennes. Dans un tel projet, les personnes vivant avec des difficultés cognitives sont des partenaires incontournables.
Cette démarche s’envisage sur plusieurs années, et dans le cadre de développement de partenariats. La démarche est initiée, elle sera progressivement évaluée, et notre ambition est de la voir se diffuser en France grâce aux innovateurs prêts à se lancer dans l’aventure.
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